
IMMOBILIER-CONSTRUCTION : quelle responsabilité pour l'expert judiciaire ?
En matière de construction immobilière, l’apparition de désordres, malfaçons ou dommages postérieurs à la réception de l’ouvrage conduit fréquemment le maître d’ouvrage ou l’acquéreur à rechercher la responsabilité du constructeur ou du vendeur.
Or, la caractérisation précise de ces désordres – tant dans leur nature que dans leur étendue – suppose dans la majorité des cas le recours à une expertise technique, qu’elle soit amiable ou judiciaire.
Ni le juge ni les parties ne disposant des compétences techniques spécifiques en matière de bâtiment, il est donc souvent nécessaire de s’en remettre à un professionnel qualifié : « le sachant ».
Contrairement à l’expertise amiable, l’expertise judiciaire présente un caractère contradictoire et bénéficie d’une force probatoire supérieure. Elle est confiée à un expert inscrit sur les listes de la Cour d’appel, garantissant ainsi son impartialité et sa compétence tant vis-à-vis du litige que des parties.
La mesure d’expertise peut être sollicitée in limine litis, avant toute action au fond (article 145 du Code de procédure civile), ou en cours d’instance, selon les besoins du débat (pour en savoir plus sur le fonctionnement de l’expertise judiciaire : n'hésitez pas à consulter notre article sur le déroulement d'une expertise judiciaire).
Pour autant, l’expertise judiciaire est loin d’être une simple formalité : sa conduite peut être longue, technique et parfois conflictuelle. Elle constitue une phase contentieuse à part entière, potentiellement technique et sujette à contestations.
Quels sont les droits et les leviers d’action des parties face aux difficultés de l’expertise ?
Le point sur le cadre de l’expertise judiciaire avec cet article.
Les missions de l’expert judiciaire
Conformément à l’article 238 du Code de procédure civile :
- L’expert ne peut donner son avis que sur les points expressément mentionnés dans sa mission ;
- Il ne peut s’écarter de cette mission sans accord écrit des parties ;
- Il lui est interdit de se prononcer sur des questions d’ordre juridique.
L’article 236 du même code précise que le juge peut, à tout moment, modifier l’étendue de la mission confiée à l’expert, y compris lorsque celui-ci est désigné dans le cadre d’un référé (Civ. 2e, 18 sept. 2008, n°07-17.640). L’extension de mission doit alors faire l’objet d’une ordonnance. En dehors de ce cadre, l’expert est tenu par les missions fixées dans l’ordonnance le désignant.
Et si l’expert outrepasse sa mission ?
On pourrait penser que l’expert qui outrepasse les missions qui lui ont été confiées s’expose à ce que la validité de son rapport soit remise en question. En réalité, aucune disposition ne sanctionne de nullité l'inobservation des obligations imposées par l’article 238 du Code de procédure civile au technicien commis.
La jurisprudence admet que le juge peut tenir compte ou non des observations de l’expert, même lorsqu’elles débordent du cadre fixé ou relèvent de l’appréciation juridique.
Par exemple, s’agissant de l'expert judiciaire accusé d'avoir outrepassé sa mission en ce qu'il ne lui était pas demandé si les désordres constatés étaient visibles par des professionnels de l'immobilier ou du bâtiment, ce qu’il a pourtant affirmé (Cour d'appel, Pau, 1re chambre, 12 Septembre 2023 – n° 22/00969).
A retenir : Le rapport ne lie ni les parties, ni le juge (article 246 CPC). Il appartient aux parties de contester toute appréciation excessive.
En revanche, la carence de l’expert judiciaire, comme sa négligence, sont susceptibles d’engager sa responsabilité.
Les délais à respecter par l’expert judiciaire
Selon l’article 239 du Code de procédure civile, « Le technicien doit respecter les délais qui lui sont impartis. »
A ce titre, l’article 265 du même code prévoit que la décision qui ordonne l'expertise impartit le délai dans lequel l'expert devra donner son avis.
En théorie, selon des jurisprudences anciennes, le juge peut réduire le montant de la rémunération de l’expert ou le condamner à des dommages et intérêts à verser aux parties lorsque sa carence a allongé excessivement les délais judiciaires.
En pratique, les délais de l’expertise judiciaire en droit immobilier et de la construction excèdent généralement les 14 mois.
L’article 241 du Code de procédure civile prévoit en tout état de cause que le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction peut notamment impartir des délais à l’expert en cours d'expertise, encore faut-il qu’il soit saisi par une partie.
Selon l’article 155 du Code de procédure civile, il s’agit du juge qui a ordonné la mesure ou selon l’article 155-1, un juge spécialement chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction confiées à un technicien, désigné par le président de la juridiction.
La responsabilité de l’expert judiciaire
L’article 237 du Code de procédure civile rappelle que, « Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. »
La responsabilité personnelle de l'expert à raison des fautes commises dans l'accomplissement de sa mission est engagée conformément au droit commun de la responsabilité civile (Civ. 2e, 8 oct. 1986, no 85-14.201).
La faute de nature à engager cette responsabilité peut n'être ni intentionnelle, ni malicieuse, mais résulter d'une erreur ou d'une négligence que n'aurait pas commise un technicien avisé et consciencieux, par exemple, l’irrespect du principe du contradictoire (Civ. 2e, 24 févr. 2005, no 03-12.226), ou l’insuffisance de rigueur dans les constatations techniques.
La Cour de cassation rappelle que l'expert judiciaire engage sa responsabilité à raison des fautes commises dans l'accomplissement de sa mission, conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile.
Ainsi, l’expert engage sa responsabilité en raison du caractère hypothétique et imprécis de ses conclusions, non étayées par des investigations sur la cause des désordres.
De plus, le juge peut retenir la responsabilité de l’expert sans être tenu d'ordonner une nouvelle expertise.
Quelle réparation pour le justiciable ? une perte de chance d'obtenir gain de cause en justice, en l’espèce évaluée à 40% .
/ !\ Selon l’article 246 du Code de procédure civile, le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien. Il convient donc de démontrer que la faute de l’expert a véritablement causé une perte de chance de gagner le procès. Autrement dit, la décision de justice qui déboute ou condamne la partie qui entend engager la responsabilité de l’expert, doit se fonder exclusivement sur les conclusions de l’expert.
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Le rôle de l’avocat dans la phase expertale
Enfin, l’article 161 du Code de procédure civile prévoit que les parties peuvent se faire assister lors de l'exécution d'une mesure d'instruction telle que l’expertise judiciaire.
Aussi, nous vous recommandons vivement de vous faire assister d’un Avocat en droit immobilier et de la construction lors de l’expertise de votre bien.
L’expert, bien qu’ayant une compétence technique, ne maîtrise pas les subtilités juridiques. Il est donc essentiel de s’assurer que ses observations ne soient pas mal interprétées sur le plan légal, au risque de compromettre vos droits.
Par exemple, tous les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale : encore faut-il que l’expert en fasse une qualification conforme à la réalité.
L’avocat, présent à vos côtés, peut intervenir à plusieurs niveaux :
– attirer l’attention de l’expert sur certains éléments,
– proposer des observations écrites (dires),
– solliciter la mise en cause d’autres intervenants (assureur, vendeur, etc.),
– veiller au respect des délais et préserver vos droits, notamment face à la prescription.
Se faire assister d’un avocat habitué à ce type de dossier, c’est se donner toutes les chances d’obtenir un rapport d’expertise conforme à vos intérêts lequel rapport servira de base à des échanges confidentiels avec les avocats adverses dans l'espoir de trouver une issue transactionnelle ou servira de base en tant que "reine des preuves" pour une procédure judiciaire au fond.
Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.
Article rédigé par Marie BEVE, élève avocate LBA AVOCATS
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
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