
Vente immobilière : quelle responsabilité pour le Notaire qui ne vérifie pas les garanties décennales ?
Lors d’une vente immobilière, les acquéreurs sont amenés à être vigilants sur de nombreux points : vices cachés, diagnostics annexés, servitudes etc.
Nombreux sont ceux qui négligent toutefois de vérifier l’historique des travaux de nature décennale qui ont pu être réalisés sur le bien dans les dix ans précédant la vente.
Pourtant, les désordres générés par ces travaux n’apparaissent pas toujours immédiatement après leur réalisation et se révèlent souvent des années plus tard, alors que la propriété du bien aura déjà été transférée.
Le premier réflexe de l’acquéreur sera alors de se tourner vers le vendeur, mais il peut aussi demander des comptes à l’entreprise ayant réalisé les travaux à l’époque. Encore faut-il qu’elle soit toujours en activité. Parfois (et même souvent), l’acquéreur aura la mauvaise surprise de découvrir que l’entreprise en question a déposé le bilan …
L’acquéreur n’est toutefois pas sans recours et peut également faire appel à l’assurance décennale de l’entreprise. Néanmoins, la crainte du “dépôt de bilan” ne concerne pas que l’entrepreneur mais aussi son assureur. Qu’en est-il lorsque l’assureur décennal a fait l’objet d’une liquidation judiciaire comme ce fut le cas en 2020 pour une certaine compagnie basée à Gibraltar ? Cela réduit fortement les chances de voir un jour réparer les désordres décennaux par ladite compagnie...
Il est donc impératif de vérifier le caractère in bonis, tant de l’entreprise, que de son assureur, lors de la vente.
A ce titre, le rôle du notaire rédacteur de l’acte de vente est essentiel.
Le point avec cet article.
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L’obligation d’indiquer les travaux réalisés sur le bien dans l’acte notarié
Lors d’une vente immobilière, le notaire est tenu d’interroger le vendeur afin de savoir si des travaux ont été effectués dans les dix ans précédents la vente et, si tel est le cas, si ces travaux relevaient de la garantie décennale (article 1792 du Code civil).
Il l’interrogera également sur le fait de savoir si un sinistre garanti par une assurance construction est survenu et s'il a déjà été indemnisé par l'assureur. Si l'indemnité n'a pas été versée au jour de la vente, le notaire précisera dans l’acte qui, du vendeur ou de l'acquéreur, en sera le bénéficiaire.
Par ailleurs, le notaire doit vérifier si les travaux réalisés ont bien fait l'objet d'une réception au sens de l'article 1792-6 du Code civil (Pour en savoir plus sur l’étape fondamentale de la réception des travaux, retrouvez notre article à ce sujet)
Enfin, le notaire est tenu de vérifier que les travaux ont bien fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme.
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L’obligation pour le vendeur de fournir les justificatifs d’assurances
Lorsque le bien a fait l’objet de travaux dans les dix ans précédant la vente, le code des assurances fait obligation au vendeur de faire mention dans l’acte ou en annexe des assurances construction y afférentes.
A ce titre, la jurisprudence a opéré un revirement en 2009 considérant que les acquéreurs successifs d'un immeuble sont recevables à agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale qui accompagne, en tant qu'accessoire, l'immeuble (Cass. 3e civ., 23 sept. 2009, n°08-13.470).
Il revient donc au vendeur de solliciter de l’assureur une attestation indiquant le nom et l'adresse de la compagnie d'assurance, le nom et l'adresse du souscripteur, l'ouvrage assuré et le montant et la date d'effet de la garantie.
Par ailleurs, la jurisprudence a estimé que ces justificatifs doivent être fournis dès la signature de l'avant-contrat de vente (Cass. 3e civ., 18 févr. 2004, n° 02-18.455).
Et pour cause, l'assurance responsabilité civile décennale est un incontournable de la construction. La souscription de cette assurance avant le début des travaux est non seulement une obligation légale, mais aussi un geste de prudence face aux aléas du secteur de la construction (Pour en savoir plus sur l’assurance responsabilité civile décennale : retrouvez notre article).
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Le devoir du notaire de vérifier l’efficacité des assurances
Pour rappel, le notaire est un officier ministériel qui doit s’assurer de l’efficacité de l’acte qu’il rédige et conseille l’ensemble des parties.
Sa responsabilité est susceptible d’être engagée sur le fondement extracontractuel.
Trois conditions doivent alors être réunies : une faute, un dommage et un lien de causalité (article 1240 du Code civil).
Le notaire étant généralement considéré comme un professionnel du droit averti, sa faute est plus sévèrement appréciée. Elle peut notamment être caractérisée par un manquement à son devoir de conseil, lequel s’analyse comme l'obligation pour le notaire d'informer le client et de l'aider à contracter en toute connaissance de cause. C’est un devoir d’informer et de conseiller le client sur la portée générale de l’acte mais aussi de manière circonstanciée.
Il en découle selon la jurisprudence, une obligation de vérification pesant sur le notaire, en particulier lorsqu’il existe des incertitudes objectives de l’existence d’un risque ainsi qu’une obligation d’alerter les acquéreurs sur un tel risque de sorte qu’en s’abstenant de le faire il engage sa responsabilité pour manquement à son devoir de conseil qui a exposé les parties au risque qui s’est finalement réalisé.
La jurisprudence a ainsi considéré que cette obligation de vérification impliquait pour le notaire de s’assurer de l’absence de procédures collectives ouvertes contre le vendeur lorsqu’un doute existait sur sa situation professionnelle ou encore de vérifier personnellement l’efficacité de la police d’assurance souscrite dès lors que les circonstances laissent présager un risque d’inefficacité.
Les obligations pesant sur le notaire ne sont donc pas seulement formelles. La jurisprudence considère en effet que le notaire ne doit pas se contenter de prendre acte des déclarations du vendeur et doit procéder aux vérifications nécessaires (Cass. 1re civ., 7 mars 1995, n° 93-13.669).
A titre d’exemple, il a été jugé que le notaire qui s’est contenté d’une simple photocopie tronquée et non signée de l’assureur de responsabilité décennale prétendu, sans procédé à aucune vérification supplémentaire, a commis une faute engageant sa responsabilité (Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n° 20-11.853).
Son devoir de conseil impose donc au notaire non seulement, d'obtenir du vendeur les attestations d'assurance concernant l'immeuble, mais surtout de vérifier leur efficacité, ce qui impliquerait de vérifier l’absence d’ouverture de procédures collectives.
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Quelle réparation en cas de responsabilité du notaire ?
L’acquéreur devra démontrer avoir subi un préjudice du fait de la négligence du notaire dans la vérification des assurances construction pour engager sa responsabilité, en lien de causalité avec sa faute.
En la matière, le préjudice sera la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, c’est à dire la perte de chance de renoncer à acquérir un bien qui n’était couvert par aucune garantie (Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-14.711, Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n° 20-11.853).
Il est de jurisprudence constante que la réparation du préjudice de perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (Cass. 1e civ. 28-1-2010 n° 09-10.352). En d’autres termes, le notaire ne saurait être condamné à indemniser la totalité du dommage des acquéreurs confrontés aux désordres non couverts par une assurance décennale, mais seulement à un pourcentage de ce dommage.
Néanmoins, la jurisprudence retient que la réparation d'une perte de chance d’être indemnisé des désordres décennaux est exclue dès lors que la garantie des assureurs des autres constructeurs peut être mise en œuvre, notamment le vendeur.
Encore faut-il également établir le lien de causalité entre la faute du notaire et cette perte de chance, c’est à dire prouver que l’acquéreur, s’il avait été dûment informé du défaut d’assurance décennale, aurait renoncé à cet achat ou en aurait au moins négocié le prix. Les juges doivent donc rechercher l’intention des parties (Cass. 1e civ. 9-12-2020 n° 19-13.697).
Enfin, il sera rappelé que le délai de prescription de l’action en responsabilité du notaire est de 5 ans. Elle court à compter du jour où le client a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action (Cass. ch. mixte 19-7-2024 n° 20-23.527).
Concrètement, le délai de prescription commence à courir à compter de la connaissance par l’acquéreur du dommage, c’est à dire de l’impossibilité d’actionner l’assurance décennale à l’apparition des désordres.
En effet, le point de départ du délai n’est pas nécessairement le manquement du notaire à ses obligations ou la date de la signature de l'acte.
En conclusion, la liste des points de vigilance à avoir pour les acquéreurs à une vente immobilière ne cesse de s’allonger. Il est impératif de vérifier lors de la vente portant sur un immeuble sur lequel des travaux ont été réalisés il y a moins de dix ans de l’efficacité des assurances construction, décennale pour l'entreprise, dommages ouvrage pour le maître de l’ouvrage, c’est à dire le vendeur.
Aussi scrupuleux que possible, les acquéreurs ne sont pas des professionnels du droit et s’en remettent à l’expertise du notaire. C’est cette confiance placée dans le notaire qui justifie qu’il soit diligent dans la rédaction de l’acte de vente et qu’il vérifie les assurances construction. Si tel n’a pas été le cas, sa responsabilité est susceptible d’être engagée, sous réserve de satisfaire aux conditions susvisées dont la réunion sera appréciée souverainement par le Juge.
Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.
Article rédigé par Marie BEVE, élève avocate LBA AVOCATS
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
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