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Mandat de vente : l’agent immobilier a-t-il droit à indemnité si toutes les parties n'ont pas signé son mandat ?

Alors qu’une baisse de 22,6 % des transactions immobilières est estimée s’agissant des douze derniers mois, et que les économistes n’hésitent pas à qualifier la période comme une période de crise immobilière (« dépréciation généralisée des biens ») le concours d’un agent immobilier dans la réalisation de la vente d’un bien peut accroître les chances de succès de ladite transaction.

Il convient alors d’encadrer cette relation par un contrat, le contrat de « mandat de vente ». Celui-ci lie le ou les vendeur(s) à l’agent immobilier, et ce dans l’objectif de procéder à la vente d’un bien immobilier. C’est une manière de « contractualiser » la relation en ces parties et d’encadrer la tâche confiée à l’agent immobilier de vendre le bien. C’est notamment l’opportunité de fixer les contours des services prévus et des honoraires perçus.

Mais il est des situations où la vente projetée porte sur un bien immobilier appartenant à plusieurs personnes (deux personnes ou plus) détenant chacune des droits de propriété sur ledit bien.

Dans cette situation, lorsque la vente se réalisera, celle-ci interviendra entre un acquéreur et plusieurs vendeurs.

Alors, le mandat de vente est-il valable lorsqu’il n’a pas été signé par tous les propriétaires du bien ? Produit-il les mêmes effets que s’il avait été régulièrement signé ? L’agent immobilier peut-il prétendre à une rémunération ? ou à une indemnisation ? Quid du cas de la signature par un seul des deux époux marié ?

Le point avec cet article.

Les situations concernées par l’indivision

On parle d’indivision lorsqu’un bien immobilier appartient à deux personnes ou plus, et que ces personnes détiennent sur ce bien une « quote-part » du même droit de propriété.

Ce droit de propriété peut s’entendre par la détention par chacune des personnes concernées :

  • de quotités identiques (par exemple chacun dispose de la moitié du droit de propriété, ou encore chacun dispose d’un quart du droit de propriété...)
  • de quotités différentes (l’un dispose de 1/3 du droit de propriété et l’autre 2/3...)

Dans de telles situations, la propriété est donc partagée soit à part égales soit à parts inégales.

Dans ce cas, il s’agit d’une indivision existant sur la « pleine propriété » d’un bien (le bien appartient donc totalement à la personne qui dispose à la fois de la nue-propriété et de l’usufruit). Également, l’indivision peut résulter d’une situation où différents droits sont détenus sur un même bien immobilier. Dans ce cas il y a un partage qui résulte de la distinction entre l’usufruit (la personne peut utiliser le bien et en percevoir les revenus, usus et fructus) et la nue-propriété (la personne ne peut pas utiliser le bien ni percevoir les revenus tant que l’usufruitier n’a pas donné son accord).

Cette situation (l’indivision) peut être rencontrée lors d’une succession, on parlera alors « d’indivision successorale » (par exemple, entre frères et sœurs).

Elle peut également résulter d’une situation de fait lorsque des personnes non mariées acquièrent un bien immobilier, notamment lorsqu’ils sont en situation de concubinage ou lorsqu’ils sont des partenaires pacsés.

C’est donc en réalité une situation récurrente.

Les principes relatifs aux actes sur les biens en indivision résultent des dispositions des articles 815-1, 815-2 et 815-3 du Code civil.

Il est ainsi permis aux propriétaires indivisaires détenant les 2/3 des droits indivis de réaliser les actes dit « d’administration » concernant le bien.

S’agissant des actes de « disposition » (qui engagent le patrimoine), il est nécessaire de recueillir l’accord de tous les indivisaires. La vente du bien indivis est d’ailleurs un acte de disposition !

Qu’en est-il alors lorsqu’un seul des coindivisaires a signé le mandat de vente, contractualisant la mise en vente du bien indivis par l’agence immobilière ?

 

La validité du mandat de vente signé par un seul indivisaire

C’est la loi HOGUET (loi du 2 janvier 1970 ; n°70-9), particulièrement en son article 6, et son décret d’application qui définissent les règles s’agissant du contrat de mandat signé auprès d’un agent immobilier, règles d’ailleurs particulièrement strictes (un agent immobilier ne peut agir que s’il a été mandaté expressément).

Toutefois, en matière d’indivision, il a été reconnu par la jurisprudence qu’un indivisaire pouvait, seul, donner mandat de vendre le bien indivis à un tiers (donc à une agence immobilière).

En conséquence, si une offre conforme à ce mandat, à ses conditions et au prix qui y est convenu, est formulée à l’indivisaire ayant signé le mandat il doit procéder à la signature du compromis de vente. Mais attention : il ne s’engage que pour sa quote-part !

Le mandat de vente est donc valable, mais il n’engage que celui qui y a apposé sa signature. Il n’est donc valable qu’entre l’indivisaire signataire et l’agent immobilier.

Le mandat dans cette situation est inopposable aux autres indivisaires...

En effet, cela va plutôt de soi...les coindivisaires n’ont consenti à aucun engagement et tel qu’indiqué supra, leur consentement est nécessaire pour réaliser la vente. Donc le mandat n’engage contractuellement que l’indivisaire signataire.

La jurisprudence a été amenée à se prononcer en la matière et elle a effectivement tranché en ce sens (Cass. Civ. 1ère chambre civile, 15/01/2015, n° 13-25955).

La Haute Juridiction avait en l’espèce admis qu’un seul indivisaire pouvait conclure un mandat de vente à un professionnel de l’immobilier chargé de faire l’intermédiaire.

Il avait été déduit que la signature d’un tel mandat de vente n’était pas un acte de disposition nécessitant l’accord de tous les indivisaires.

La Cour de cassation avait ainsi estimé qu’un tel mandat produisait effet entre l’indivisaire ayant signé et l’agent immobilier et elle précisait que ce mandat était inopposable aux autres signataires, à moins qu’ils n’en aient décidé autrement.

Attention donc : si l’ensemble des indivisaires signent le compromis de vente faisant référence au mandat (et donc aux frais d’agence), ils ne pourront pas par la suite refuser de payer la commission due à l’intermédiaire.

 

Conséquences juridiques de ce mandat de vente

Si ce mandat de vente est inopposable aux tiers (sauf à ce qu’ils le ratifient), les conséquences juridiques qui s’en suivent méritent une attention particulière.

Si le professionnel peut mettre le bien à la vente en toute légalité, la signature du compromis de vente et la réitération par acte authentique requerront nécessairement l’accord de l’ensemble des propriétaires indivisaires.

L’intérêt de ce mandat de vente donné par un seul indivisaire est donc limité, et il l’est d’autant plus lorsqu’existent des conflits entre ceux-ci (par exemple lorsqu’ils ne sont pas d’accord sur le projet de vente en lui-même, ou sur la fixation du prix du bien).

Tout d’abord, pour le cas où la vente ne pourrait avoir lieu, l’indivisaire ayant signé le mandat de vente pourra être contraint sous certaines conditions de payer une indemnisation à l’agent immobilier ainsi qu’au potentiel acquéreur.

La jurisprudence a tranché de la même manière que le mandat de vente soit un mandat exclusif ou un mandat non exclusif.

L’agent immobilier a tout intérêt à recueillir l’accord de l’ensemble des coindivisaires concernant le mandat de vente. Cela lui permettra incontestablement d’augmenter ses chances de succès et d’écarter le moindre litige concernant la vente dudit bien.

Focus sur l’accord donné par un seul des deux époux

Quid du mandat signé par un seul des époux ?

Rappelons que l’article 1224 du Code civil en son alinéa 1 est ainsi rédigé :

« Les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »

La question de la régularité du mandat de vente donné à l’agent immobilier par un seul des deux époux a été soumise à la Cour de cassation et la première chambre civile s’est récemment prononcée sur le sujet (Cass. Civ. 1ere chambre civile, 12/09/2019, n°18-20638).

Les règles applicables en la matière sont rigoureuses car entrent en ligne de compte les dispositions relatives aux différents régimes matrimoniaux.

Il s’agit ici de se pencher sur la situation de régime de communauté puisqu’en effet, si les époux se trouvent en situation de séparation de biens soit ils ont acquis leur bien sous le régime de l’indivision classique, soit l’un d’eux a acquis un bien « propre » et il en est le propriétaire exclusif (toutefois, voir article 215 alinéa 3 du Code civil pour le cas où le bien propre est le « logement familial »).

En principe donc, concernant la vente d’un bien commun aux deux époux, chacun de leur accord est nécessaire.

S’agissant cette fois du mandat de vente, les juges ont rappelé dans l’arrêt susmentionné un principe qui avait déjà été posé, à savoir que le mandat de vente signé pas un seul des deux époux est valable. La Cour de cassation précise que le mandat de vente n’est qu’un « mandat d’entremise et non un mandat d’aliénation ou de représentation à la vente ».

Il convient donc d’être vigilent, et de veiller à ce que ce contrat de mandat ne vise que la mission de recherche de potentiels acquéreurs (et rien de plus !).

Dans le cas d’espèce soumis à la Haute Juridiction, les époux étaient propriétaires d’un bien commun mais seule l’épouse a signé le mandat de vente la liant à l’agence immobilière. Mais au stade du compromis les époux refusent la signature. L’agence a poursuivi les époux en paiement de la commission mais ceux-ci soulèvent la nullité du contrat de mandat, arguant que seule l’épouse y a apposé sa signature.

La première chambre civile a alors confirmé la position de la Cour d’Appel laquelle validait l’existence du mandat de vente. Il est considéré ici que, bien que l’épouse ne s’est pas engagée à vendre le bien susvisé, elle a sollicité la recherche d’acquéreurs. Son mari et elle peuvent donc choisir de ne pas accepter la vente par la suite mais ils sont donc tenus de réparer les conséquences de la non-réalisation de cette vente.

Quoi qu’il en soit, le mandat de vente qui ne prévoit que « l’entremise » est donc bel et bien valable quand bien même un seul époux y a consenti.

Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.

Article rédigé par Joséphine LAMOUREUX, élève-avocate, stagiaire LBA AVOCATS

Sous la direction de Me Louise BARGIBANT   

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