Défaut d'assurance décennale du constructeur : Quelles sanctions ?
Vous avez fait réaliser des travaux par une entreprise et vous remarquez des défauts importants qui pourraient compromettre la solidité de l’ouvrage ou le rendre impropre à sa destination ?
En vous renseignant, vous constatez que vous n’avez pas eu d’attestation de garantie décennale de la part du constructeur.
Vous vous questionnez alors sur la reprise de ces dommages par le constructeur.
Si la loi a instauré une présomption de responsabilité à l’égard du constructeur l’obligeant a priori à la reprise des désordres au titre de la garantie décennale, il n’est pas rare que les constructeurs déposent par la suite le bilan (liquidation judiciaire), ne permettant plus d'obtenir réparation par la société.
Afin de protéger les maîtres d'ouvrage, le législateur a toutefois mis en place des sanctions pénales et civiles sévères à l’encontre du constructeur en cas de défaut d’assurance décennale.
Vous avez donc plusieurs options vous permettant d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis à ce titre.
Le point avec cet article.
Qu’est-ce que la garantie décennale ?
L’article 1792 du Code civil instaure une garantie décennale pour le constructeur d’un ouvrage :
« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. »
Pour appliquer la garantie décennale du constructeur, le dommage doit :
- Soit compromettre la solidité de l’ouvrage édifié
- Soit rendre impropre à sa destination l’ouvrage en l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement
Dans ce cas, il n’est alors pas nécessaire de démontrer une faute de ce dernier.
L’existence des dégâts de cette nature suffit à engager la responsabilité du constructeur.
La garantie décennale est d’ordre public. Le constructeur ne peut donc s’en exonérer qu’en prouvant que les dommages sont dus à une cause étrangère.
Mais, l’inscription d’une clause contractuelle ayant pour objet la limitation ou l’exclusion de ladite garantie ne sera pas valide.
Cette garantie décennale a une durée de 10 ans.
Qu’est-ce qu’une assurance décennale ?
Afin d’assurer la prise en charge des travaux de reprise des désordres de nature décennale, la loi a instauré une obligation pour le constructeur de souscrire à une assurance dite « décennale » en vertu de l’article L 241-1 du Code des assurances.
Cette assurance offre une couverture pour les dommages causés dans le cadre de la responsabilité de plein droit des constructeurs d’un ouvrage établi par l’article 1792 du Code civil.
Quel est le risque en cas de défaut d’assurance décennale ?
Le risque principal est que d’importants dommages soient relevés sur l’ouvrage édifié alors que le constructeur ne donne plus signe de vie, faisant obstacle à toute réintervention.
En effet, il n’est pas rare que les constructeurs n’ayant pas souscrit d’assurance décennale tentent de s’exonérer de leur responsabilité en déposant le bilan.
C’est pourquoi, la loi a instauré des sanctions importantes pour le constructeur dans ce cas afin de protéger le maître de l’ouvrage lequel pourra tout de même obtenir une indemnisation.
Ainsi, le défaut de souscription d’une assurance décennale peut exposer le constructeur à des sanctions de nature pénale et civile.
A noter toutefois qu'il est toujours plus intéressant de vous assurer dès l’ouverture du chantier, que le constructeur vous a adressé une attestation d’assurance décennale.
Néanmoins, il est important de préciser qu’actuellement la jurisprudence n’estime pas que le maître de l’ouvrage commet une faute en ne vérifiant pas en amont la souscription d’une assurance décennale par le constructeur.
Quelle sanction en cas de défaut d’assurance décennale ?
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Sanction pénale
Au niveau pénal, l’absence d’assurance décennale pour le constructeur constitue une infraction établie à l’article L 243-3 du Code des assurances.
La mise en place d’un délit pour le constructeur à ce titre a un effet extrêmement dissuasif.
Le constructeur risque alors une peine d’emprisonnement de 6 mois et une amende de 75.000 euros.
Il s’agit d’un délit instantané, c’est-à-dire consommé dès lors qu’au moment de l’ouverture du chantier, aucune assurance décennale n’a été souscrite.
Une plainte pénale pourra être déposée.
Attention, ce délit se prescrit par un délai de 3 ans.
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Sanction civile
- Responsabilité contractuelle de la société
Au niveau civil, vous pouvez saisir le tribunal judiciaire afin d’engager la responsabilité contractuelle de la société ayant réalisée l’ouvrage affecté de dommages de nature décennale au titre de la garantie décennale.
Ladite société sera donc condamnée à reprendre les désordres relevés ou à leur prise en charge ainsi que l’indemnisation des préjudices corrélatifs à l’absence d’assurance décennale.
- Responsabilité personnelle du dirigeant
De plus, dans le but de faire obstacle à la disparition des sociétés constructrices en ce qu’elle empêche l’indemnisation des préjudices subis par les maîtres de l’ouvrage, la jurisprudence a admis la responsabilité personnelle du dirigeant de ladite société.
En principe, le dirigeant d’une société est protégé. Sa responsabilité ne peut être engagée.
Néanmoins, dès lors qu’il commet une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec ses attributions sociales, la théorie de la faute détachable des fonctions s’applique.
Après un long débat jurisprudentiel, les juges retiennent de manière unanime depuis 2016 que le défaut d’assurance décennale par le constructeur constitue une faute de gestion séparable des fonctions de dirigeant pouvant engager la responsabilité personnelle de ce dernier.
Dans ce cas, le dirigeant sera personnellement tenu de réparer les préjudices subis par le maître de l’ouvrage sur ses deniers personnels.
L’admission de cette responsabilité par la jurisprudence démontre une particulière sévérité envers le constructeur et permet d’octroyer une importante protection au maître de l’ouvrage, indépendamment de l’existence de la société.
Quelle indemnisation le maître de l’ouvrage peut-il obtenir ?
L’indemnisation dépendra du contexte dans lequel se trouve le maître de l’ouvrage.
Ainsi, il faut différencier l’hypothèse où des désordres se sont révélés de celle où il n’y en a a priori pas.
Dans la première hypothèse : lorsque les travaux ont été entièrement réalisés par le constructeur et que des dommages de nature décennale apparaissent après la réception alors que ledit constructeur n’a pas souscrit d’assurance décennale, vous pouvez saisir le juge afin de demander la prise en charge de l’ensemble des réparations à effectuer au titre de la perte de chance d’obtenir la réparation des désordres de l’ouvrage.
Dans la seconde hypothèse, vous vous rendez compte de l’absence d’assurance décennale du constructeur mais aucun dommage n’est apparu après la réception, dans ce cas, il est également possible de saisir le juge afin de demander une indemnisation au titre du préjudice moral lié à l’insécurité engendrée par l’absence d’assurance décennale.
Ainsi, la jurisprudence retient que le défaut de souscription d’assurance décennale constitue un préjudice certain en tant que tel pour le maître de l’ouvrage.
Les juges apprécient souverainement le montant dudit préjudice.
Peut-on obtenir la résolution du contrat de louage d’ouvrage ?
Si vous vous rendez compte de l’absence de souscription d’une assurance décennale par le constructeur au cours de la réalisation des travaux, il est possible de saisir le juge afin de demander la résolution du contrat.
La résolution du contrat a un effet rétroactif lequel entraîne la remise des parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la conclusion dudit contrat.
À ce titre, l’article 1224 du Code civil impose tout d’abord d’établir une inexécution contractuelle laquelle peut être établie dans le défaut de souscription d’une assurance décennale par le constructeur.
Dans un second temps, il est nécessaire de démontrer une gravité dans l’inexécution.
Il appartient au juge d’apprécier la gravité de la faute vis-à-vis du contexte dans lequel se trouve l’ouvrage.
En conclusion, il est important en amont de vous montrer prudent sur le choix du constructeur afin de vous assurer de la fiabilité de la réalisation des travaux et de vous assurer, avant l’ouverture du chantier, de la souscription d’une assurance décennale par le constructeur.
Si malheureusement, cela n'a pas été fait, il existe des solutions mais il convient d'agir par étapes.
Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.
Article rédigé par Lise FERTIN, élève avocate, stagiaire LBA AVOCATS
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
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